Pour cette webconférence, le CRPRS était ravi d'accueillir Jean-Yves Camus et Marion Jacquet-Vaillant, tous les deux chercheurs spécialistes des groupuscules d'ultra-droite et des mouvances identitaires.
Suite à un problème technique lors de l'enregistrement, l'intégralité de la conférence n'est pas disponible en replay. Cependant, cet article vous propose un retour sur les prises de parole de M. Camus et de Mme Jacquet Vaillant. Par ailleurs, vous pouvez retrouver ci-dessous une vidéo reprenant les réponses qui ont pu être apportées aux questions des participants durant cette webconférence.
Ultra-droite, extrême droite ou droite radicale ?
Les deux chercheurs sont tout d'abord revenus sur l'importance du travail de définition des mouvances dont on parle. Jean-Yves Camus a expliqué que le terme "ultra-droite" n'est pas un terme utilisé par la recherche. En effet, celui-ci a été conçu par la police et le renseignement pour rendre compte de ce que ces derniers ont le droit de surveiller, à savoir les groupes à propension violente et/ou voulant renverser l'Etat dans sa forme républicaine, par opposition aux partis politiques légaux insérés dans le jeu démocratique et classés par le Ministère de l'Intérieur comme "d'extrême-droite" (RN). Le terme d'ultra-droite a donc seulement une validité lorsqu'il s'agit de maintien de l'ordre, éventuellement d'une mesure de dissolution, sous réserve que les critères mentionnés au L-212;1 du Code de la sécurité intérieure soient réunis. Jean-Yves Camus a expliqué qu'il préfère pour sa part le terme utilisé par l'Office fédéral pour la protection de la Constitution en Allemagne, de "droite extrême" (Rechtsextremismus), par contraste avec la "droite radicale" (Rechtsradikalismus). Ce terme renvoie à l'idée qu'il est admissible de contester les bases, ou certaines bases, du consensus démocratique, mais pas d'oeuvrer par la force ou par l'intimidation d'un groupe de citoyens, à sa destruction.
Marion Jacquet-Vaillant a quant à elle indiqué qu'étant donné que beaucoup de travaux sur cette thématique se font en langue anglaise, c'est souvent le terme de "droite radicale" qui est retenu. Si celui-ci est pertinent pour accorder les chercheurs de différentes nationalités, elle préfère quant à elle utiliser le terme d'extrême-droite.
Dissolution de groupuscules : quelles conséquences ?
Les dernières années ont été marquées par la dissolution de nombreux groupuscules identitaires. Pour Jean-Yves Camus, ces dissolutions ont eu pour résultat un éclatement de la mouvance en une myriade de groupes locaux autonomes fonctionnant en réseaux souples. En effet, les mouvements comme l'Oeuvre française et Troisième Voie, puis Génération identitaire, fonctionnaient sur le mode d'une structure nationale, d'ailleurs très hiérarchisée dans les deux premiers cas. La nécessité d'échapper aux poursuites pour reconstitution de ligue dissoute, mais aussi le pression générale mise sur la mouvance par les autorités au plans judiciaire et administratif, ont obligé les groupes à avoir une réflexion stratégique qui s'est orientée vers la création de structures locales, souvent dans des villes moyennes, voire petites, qui ont des actions communes mais pas de leader commun.
Marion Jacquet-Vaillant ajoute que la disparition des groupes nationaux et l'organisation en groupes locaux a donné naissance à une forme de synchrétisme idéologique. Ces groupes réunissent des individus aux idéologiques variés : à la fois des militants de la mouvance néo-fasciste, identitaire ou encore nationaliste-révolutionnaire. Elle souligne que ces tendances pourtant concurrentes parviennent cependant à coexister. Cela s'explique par le fait qu'indépendamment de leur chapelle idéologique d'origine, tous ces groupes se retrouvent sur un terrain commun à savoir l'opposition à l'immigration, à l'islamisation et à ce qu'ils considèrent être un "grand remplacement". Les rivalités idéologiques au sein de ces mouvances diminuent donc, les militants se retrouvant autour d'un dénominateur commun lié aux questions d'immigration.
Quel panorama actuel, à l'échelle nationale et régionale ?
Les deux chercheurs ont enfin mis en avant les grandes tendances de ces mouvances à l'heure actuelle. Marion Jacquet-Vaillant a d'abord souligné que les militants dont on parle "sont des militants de leur temps". Cela signifie qu'ils sont marqués par l'émergence des enjeux de leur époque. Ainsi, c'est par rapport aux nouveaux enjeux dont il est question dans les débats politiques d'aujourd'hui que ces militants prennent position. C'est la raison pour laquelle les groupuscules actuels ciblent de nouvelles questions sociétales, liées aux moeurs et aux relations hommes-femmes par exemple. La questions de ces nouveaux enjeux est notamment développée dans la vidéo ci-dessous.
Jean-Yves Camus a ensuite développé ce panorama en proposant un zoom à l'échelle de la région des Hauts-de-France. Depuis les années -80, la région voit la disparition de la mouvance skinhead néo-nazie telle qu'elle apparaissait dans les décennies 80-90, c'est à dire fondée sur des scènes musicales alternatives ( Oï, RAC) et une propension générale à la violence de rue sous forme de "bandes" attaquant, jusqu'au meurtre, les personnes de couleur, les étrangers et les adversaires politiques ; sous le couvert d'une idéologie très sommaire de type raciste, antisémite et négationniste, aux références nazies. Cette "scène" a muté vers un mode d'organisation plus élaboré (Picard Crew; Whites Wolves Klan; Troisième voie/Vlaams huis) mais toujours centré sur la violence raciste, avec des affrontements fratricides entre groupes, voire à l'intérieur de ceux-ci, sur fonds d'usage de drogues dures, de délinquance de droit commun et de nouvelles portes d'entrée vers le militantisme ( groupes de bikers, conventions de tatouage). La répression judiciaire a pour l'instant vaincu le phénomène, mais il existe à l'état moins organisé une mouvance à la lisière des identitaires et du néo-nazisme qui survit en milieu rural et semi-rural, dans des populations précarisées. Celle-ci évolue parfois à la lisière d'une organisation légale (Parti de la France), parfois à proximité des groupes de hooligans des stades (LOSC Army), et avec un potentiel violent toujours élevé.