Retour sur : Séminaire fermé "Communautarisme et séparatisme"

Le 7 juillet 2020, était organisé un premier séminaire fermé entre chercheurs et praticiens afin de croiser les regards sur des sujets particulièrement sensibles.

 Cette première rencontre portait sur le thème suivant :« Communautarisme et séparatisme : histoire sémantique, usages politiques en France et perspectives internationales ». Il s’agissait alors d’établir une cartographie des enjeux liés au séparatisme et au communautarisme selon l’approche de chaque acteur. Ce séminaire s’est articulé autour de trois temps forts dans la journée : le matin une table ronde donnant des éléments de définitions des termes, puis dans l’après-midi une autre permettant de partager l’actualité des politiques publiques et les modalités de leur application sur le terrain.

Communautarisme, séparatisme : des concepts aux contours flous

Le travail définitionnel des concepts du communautarisme et du séparatisme a eu l’intérêt d’interroger les représentations que chaque acteur accolait à ces concepts. Car toute la difficulté relève du fait que le communautarisme et le séparatisme sont deux concepts qui n’ont pas de réel substrat scientifique. La question est donc de savoir dans quelle mesure les notions de communautarisme et de séparatisme rendent compte, par une analyse extrêmement rigoureuse, d’un fait qui ne relève que de l’objectivité. Sur le plan juridique, il n’existe pas non plus une définition légale du séparatisme qui permettrait d’agir pénalement. Même s’il n’est pas ressorti une définition consensuelle sur le séparatisme*, cet échange entre acteurs et chercheurs a eu le mérite de mettre le doigt sur un phénomène observé depuis plusieurs années avec l’idée que le séparatisme procède d’une logique de désaffiliation sociale et d’une emprise sur une partie de la population. A titre d’exemple, la préfecture du Nord a défini le séparatisme comme « une volonté de vivre illégalement en marge de la loi républicaine et une volonté d’enfermer les individus et de les contraindre. »Malgré cette absence de définition consensuelle sur ces phénomènes, l’ensemble des participants de ce séminaire fermé, chercheurs comme acteurs publics, se sont accordés pour rappeler le cadre laïc de l’action publique. Ce rappel a permis d’une part d’être au clair sur ce que recouvre la laïcité, en tant que principe constitutionnel garantissant, entre autres, la liberté de conscience et d’autre part d’inscrire la laïcité au cœur de l’action publique comme moyen efficace d’agir contre des phénomènes politiques menaçant les fondements de la République.

 De manière générale, l’exercice a souligné l’importance de trouver un équilibre entre d’une part la nécessité de ne pas être dans la surenchère au risque de stigmatiser une partie de la population et d’autre part de ne pas être dans le déni. En effet, il semble important de rappeler que le séparatisme islamiste, s’il peut être présent dans certains territoires, ne concerne qu’une infime frange de la population. Dans le même temps, la menace que fait peser ce phénomène sur la société doit mener à reconnaitre et à agir efficacement contre celui-ci. Par ailleurs, le séparatisme islamiste pose la question de l’influence étrangère dans les cultes musulmans, l’organisation de ceux-ci et la formation d’imams français.

Des phénomènes qui s’appuient sur de multiples fragilités d’ordre social, économique, sanitaire voire territorial

En ce qui concerne les ressorts du communautarisme et du séparatisme qui peuvent être visibles dans certains territoires, le débat s’est intéressé à la présence de l’Etat dans les QPV, les moyens de l’Etat et ses modalités d’actions. Il s’agissait alors de comprendre les facteurs favorisant la montée du communautarisme/séparatisme. La question de la présence de l’Etat ou plus globalement de l’action publique dans certains quartiers populaires a mis en lumière la façon dont des entrepreneurs identitaires et/ou religieux à l’instar des Frères Musulmans, tiraient profit du vide laissé pour investir l’action sociale. Ces entrepreneurs vont alors s’appuyer sur la déshérence sociale et culturelle de certaines populations et proposer une offre de sociabilité alternative attractive pour les jeunes fournissant des réponses à leur mal-être mais également un horizon de sens à ces jeunes en perte de repères étatiques et en besoin de reconnaissance. Face à une offre étatique considérée comme peu attractive, l’islamisme radical peut alors essaimer un message de rupture et de haine contre la République en s’appuyant sur le malaise identitaire de certains jeunes. Les discussions ont également permis d’identifier d’autres enjeux instrumentalisés par les entrepreneurs identitaires tels que la souffrance sociale, la précarité ou encore le décrochage scolaire, des facteurs pouvant favoriser le repli sur soi. Cette table ronde a aussi été l’occasion d’interroger certaines politiques publiques telles que les politiques de peuplement qui peuvent conduire à une concentration de populations immigrées sur un même territoire. Une des conséquences de cette politique, par exemple, est celle de la non-mixité sociale et ethnique observée dans les écoles de quartiers populaires. De la même façon, on constate que des jeunes de ces quartiers populaires ne connaissent que leur territoire. L’affirmation identitaire de certains peut être vue comme une des conséquences de cette concentration. Par l’identification de ces ressorts, la table ronde a permis de comprendre que la lutte contre le séparatisme, et notamment islamiste, devait passer par la mobilisation de l’ensemble des leviers de l’action publique, le décloisonnement des approches entre acteurs publics, acteurs associatifs et collectivités territoriales et la mobilisation des populations, en particulier les musulmans.

 Par la menace qu’il fait peser sur le vivre-ensemble, le séparatisme rend nécessaire une synergie des politiques publiques entre l’Etat et les collectivités territoriales

En tant que phénomène diffus et complexe, la réponse publique face au séparatisme doit passer par une approche plurielle mobilisant non seulement les volets juridique et sécuritaire mais aussi social et culturel. Nous l’avons vu, le séparatisme se nourrit de multiples fragilités présentes au sein de plusieurs territoires. Il importe alors de déployer une réponse adaptée et concertée. Par exemple, l’amélioration du rapport police-population ne peut passer uniquement par un renforcement de l’arsenal judiciaire et/ou policier. Cette action doit aussi inclure le renouvellement de la formation des policiers en intégrant la sensibilisation à la lutte contre les discriminations, contre le racisme. Il s’agit aussi d’engager le dialogue entre la police et les jeunes en développant une relation de confiance sur le long terme. Si certains acteurs présents ont déploré la faiblesse d’une action concertée entre les services déconcentrés et les collectivités territoriales, les échanges et retours d’expériences ont permis de réfléchir à différentes formes de coopérations renforcées. De la même façon, il a été proposé de pousser la coopération entre acteurs de terrain et l’Etat en allant au-delà des appels à projet. C’est aussi dans ce cadre de coopération que la politique de la ville trouve sa centralité. En effet, sans forcément les penser en termes de lutte contre le séparatisme ou le communautarisme, les champs d’actions de la politique de la ville tels que l’éducation avec les cités éducatives, les programmes de renouvellement urbain, la lutte contre les discriminations ou encore les politiques de peuplement, offrent la possibilité de lutter efficacement contre les facteurs favorisant ces phénomènes en particulier les phénomènes de ségrégation et leurs conséquences. En s’appuyant sur ses méthodes participatives, de co-construction des politiques publiques pour partie inspirées des méthodes de community organizing, la politique de la ville permet une remobilisation nécessaire des populations et de retisser du lien entre ces dernières et les acteurs publics. La synergie des politiques publiques constitue un levier opportun pour renforcer d’une part le vivre ensemble et d’autre part pour fédérer les citoyens autour d’un projet social porteur de sens.

Annexe

*Quelques propositions de définitions du séparatisme et du communautarisme énoncées lors du séminaire fermé.

 

  • Du côté des chercheurs :

« Le terme de communautarisme emporte une approche dépréciative de la communauté. Il n’était que très peu utilisé dans les années 80, puis certains faiseurs d’opinions l’ont imposé pour décrire le comportement de certains, perçus comme inintégrables. Il existe effectivement des comportements intolérables, des discours intolérables et des accoutrements improbables qui ne correspondent pas à l’idée que nous nous faisons de notre République. » Ghaleb Bencheikh, islamologue, écrivain et Président de la Fondation de l’Islam de France (FIF) 

« Dès lors que l’immigration s’avère concentrée sur quelques territoires, la norme sociale se renverse, surtout si les habitants de ces territoires présentent des difficultés particulières et ne sont pas considérés comme des Français comme les autres. La concentration de l’immigration fabrique du communautarisme » Hakim El Karoui, essayiste et consultant

  • Du côté des acteurs publics :

« Toutes les communautés ne basculent pas dans le séparatisme. Le séparatisme pose la question de l’identité. Or désormais, le séparatisme islamiste est celui qui porte le plus atteinte à l’unité républicaine. » Anonyme

« Le séparatisme peut se définir comme une volonté de vivre illégalement en marge de la loi républicaine, et une volonté d’enfermer les individus et de les contraindre. » Anonyme