Conspirationnisme en ligne : quels risques et quelle diffusion ?

Une conférence avec Rudy Reichstadt, journaliste et fondateur du site Conspiracy Watch.

Rudy Reichstadt est politologue, journaliste, expert associé à l’Observatoire des Radicalités Politiques de la Fondation Jean Jaurès et fondateur de Conspiracy Watch, un site dont l'objectif est de diffuser des connaissances sur le conspirationnisme et son impact. Le 21 janvier 2025, le collectif "Ensemble, on fait quoi ?" était ravi de l'accueillir pour s'intéresser aux tendances historiques et sociologiques du conspirationnisme ainsi qu'aux particularités de la propagation des théories du complot en ligne.

L'adhésion au complotisme : pour tous et de tous temps

Rudy Reichstadt a d'abord rappelé que le complotisme n'est pas un phénomène nouveau. Si son fonctionnement, ses tendances, ses canaux de diffusion évoluent ; le processus d'adhésion à des théories du complot a déjà existé dans toutes les périodes de l'histoire. Par ailleurs, c'est un phénomène qui concerne des sociétés très diverses et des individus aux profils sociologiques variés. Il n'y a pas un profil-type d'individu concerné. Si l'on insiste souvent sur la perméabilité des jeunes générations aux discours complotistes, il convient de se souvenir que les quarantenaires, quinquagénaires ou sexagénaires sont aussi concernés. Tous les milieux sociaux peuvent être également touchés, mais Rudy Reichstadt a tout de même indiqué qu'on remarque une corrélation entre l'adhésion au complotisme et le niveau d'études. Plus un individu a fait d'études, moins il est probable qu'il adhère à des théories du complot, mais cela reste malgré tout possible.

En effet, une théorie du complot peut être séduisante pour n'importe quel individu puisqu'elle apporte des réponses simples à des questions qui souvent ne le sont pas. Face à une situation qu'il est difficile d'expliquer, une théorie de complot apporte des éléments qui semblent idoines pour comprendre ladite situation. Rudy Reichstadt parle d'un "effet eurêka" (de l'expression grecque qui signifie "j'ai trouvé") : lorsqu'un individu découvre et adhère à une croyance complotiste permettant d'expliquer une situation complexe, il a le sentiment d'avoir compris le problème, ce qui s'accompagne d'une émotion très positive de satisfaction. Et cela rend la remise en question de l'explication très compliquée.

La carte du web conspirationniste

Rudy Reichstadt a également présenté la carte du web conspirationniste, un outil accessible pour tous développé par Conspiracy Watch. Cette cartographie regroupe 126 sites conspirationniste francophones et met en lumière les liens qui peuvent exister entre eux. Elle permet donc  d’avoir une vision globale de ce qu’on appelle parfois la « complosphère ». Le journaliste a expliqué qu'il est très révélateur d'observer les connexions qui existent entre ces sites pour s'apercevoir qu'ils composent une "toile" cohérente et non des sites indépendants les uns des autres. Cette cartographie met en avant 6 familles différentes de sites conspirationnistes, répartis selon les thématiques qu'ils ciblent le plus ainsi que leurs canaux de diffusion.

Plateformes, réseaux sociaux, algorithmes  et propagation du complotisme

Enfin, Rudy Reichstadt a présenté les mécanismes de propagation du conspirationnisme en ligne. Il a notamment souligné que certaines plateformes vidéos ou certains réseaux sociaux sont largement utilisés par des individus voulant propager des thèses complotistes. La modération de ce type de contenu est donc un enjeu primmordial pour le journaliste, tout comme la question de la gestion des algorithmes. En effet, le fonctionnement de ces derniers amène l'utilisateur à consommer un contenu très homogène. Cet effet de "bulle algorithmique" est fondamentalement lié à l'adhésion au complotisme : en ayant toujours les mêmes points de vue présentés sur un phénomène et en ne pouvant jamais consommer un contenu relevant de la contradiction, un individu se retranche nécessairement derrière des opinions où le doute n'est pas permis. 

Pourtant, c'est bien le doute, la remise en question, qui permet de fracturer l'adhésion aux théories du complot. Lorsqu'on réintroduit le doute dans l'esprit d'un individu adhérant à des théories complotistes, on ouvre son esprit critique et partant, la possibilité pour lui de rejeter ses croyances complotistes. Réintroduire le doute sans rentrer dans le mépris n'est pas un exercice aisé, et cela nécessite de construire des capacités d'écoute et de dialogue comme l'affirmait le psycho-pédagogue Bruno Humbeeck lors d'une précédente conférence du collectif. C'est aussi le point de vue de Rudy Reichstadt qui a insisté sur l'importance du temps du dialogue qui n'est pas le même que le temps de l'immédiateté que proposent les réseaux sociaux. Mais qui est essentiel pour contribuer à l'éveil de l'esprit critique.

Vous pouvez retrouver l'intégralité de l'intervention de Rudy Reichstadt ci-dessous :

Conférence de Rudy Reichstadt - "Conspirationnisme en ligne : quels risques et quelle diffusion ?"